[Linux-bruxelles] Interview de Richard Stallman
Marc HEERBRANT
marc.heerbrant at wanadoo.be
Mar 3 Juin 21:33:06 CEST 2003
Interview de Richard Stallman
"Je continuerai de faire tout ce qui est en mon pouvoir pour éviter le monopole
juridique de Microsoft"
Richard Stallman
Président
Free Software Foundation
Venu en France pour participer au jury des Trophées du Libre, à Soissons,
Richard Stallman garde dans ses propos toute la véhémence qui a fait de lui le
pourfendeur mondialement connu des brevets logiciels et des situations de
monopole (entre autres...). Le fondateur de la FSF s'exprime ici sur le dossier
des brevets européens et sur l'affaire SCO/IBM, sans manquer d'égratigner son
ennemi juré : Microsoft.
Propos recueillis par Fabrice Deblock le 27 mai 2003
JDNet Solutions : que pensez-vous du projet de directive européenne sur les
brevets logiciels ?
Richard Stallman. Les brevets logiciels sont un danger pour tout développeur de
logiciel, qu'il soit libre ou pas. Ils servent les intérêts de ceux qui en
détiennent beaucoup, donc des grandes entreprises. Une petite société ne peut,
avec un brevet logiciel, lutter efficacement contre une structure plus
importante qui dispose d'un arsenal de licences croisées et de gros moyens
financiers.
Les brevets convenaient peut-être il y a un siècle à d'autres champs de la
fabrication, quand un brevet était attaché à un seul produit. Mais les
programmes sont aujourd'hui très complexes, ils utilisent beaucoup d'idées. Si
chacune d'elles peut être brevetée, programmer ressemblera bientôt à la
traversée d'un champ de mines, la probabilité de marcher sur un brevet sera
grande ! Les PME ne veulent pas des brevets logiciels mais n'osent pas le dire
car elles craignent les menaces des grands groupes avec lesquels elles traitent
commercialement.
Est-ce la mort du logiciel libre ?
Ce qui fait la réussite du logiciel libre, c'est que nous n'avons pas d'argent
à dépenser. Les développeurs du libre sont par définition des structures de
très petite taille, sans beaucoup d'argent. Les conditions types des licences
exigent par ailleurs un paiement à la copie. Même si je ne devais payer qu'un
millionième d'euro par copie, je ne pourrais pas car je ne serais pas capable
de compter ces copies !
Il est question de changer le texte de la directive car il y a manifestement
triche ! Pour être brevetable, selon le projet de la directive, une invention
doit revêtir une qualité technique, mais cela ne veut rien dire ! L'Office
Européen des Brevets veut autoriser des brevets dont la valeur est sujette au
doute. Nous ne voulons pas bloquer la directive mais la remplacer par un texte
plus clair !
Quelles actions menez-vous pour modifier ce projet de directive ?
J'ai participé à des conférences censées convaincre les membres du Parlement
européen. Et je continuerai de faire tout ce qui est en mon pouvoir pour éviter
le monopole juridique de Microsoft. Car si cette entreprise utilise une idée
qu'elle a brevetée dans un format de fichier, dans un protocole de
communication ou dans un langage, elle peut facilement en faire un standard. Et
plus personne ne pourra utiliser le format, faire tourner le langage ou
communiquer avec le protocole en question sans payer ! Avant que la durée de
vie du brevet n'expire, c'est-à-dire 20 ans, un autre brevet aura pris la
relève, qui forcera tout le monde à changer de protocole ou de standard !
Certains amendements veulent empêcher que des brevets ne gênent
l'interopérabilité entre les systèmes. C'est très ambigu. Cela veut dire que je
ne peux développer que des traducteurs, des connecteurs. Encore faut-il que les
données et la façon de les représenter ne soient pas brevetées ! Et pour les
langages, cela signifie que je dois développer un système de telle sorte que
les programmes écrits dans ces langages fonctionnent sur ce système. Cela me
fait penser à un blindage sur les mains et les pieds, mais pas sur le corps !
L'affaire SCO contre IBM est-elle le début de la guerre des brevets ?
Cette affaire relève en fait des détails des activités communes entre SCO et
IBM. Et si SCO venait à gagner, le système GNU-Linux ne serait pas concerné car
il existait avant ce projet ! Mais au delà, SCO menace aussi les utilisateurs
qui ont du code copié d'Unix dans Linux. SCO profite en fait de la confusion
qui existe entre GNU-Linux et Linux. Quand SCO parle de Linux, on ne sait pas
de quel composant il s'agit. Il ne faut pas confondre le système entier avec le
noyau, cela peut mener à des conclusions erronées. SCO profite de cette
confusion pour diffuser une peur irrationnelle.
Et cela sert aussi les intérêts de Microsoft qui fonctionne selon le principe
de la crainte, de l'incertitude et du doute [NDLR : FUD : Fear, Uncertainty,
Doubt]. Dans cette affaire beaucoup de détails sont flous, il n'y a pas
vraiment de sujet de procès, c'est uniquement fait pour répandre la peur. SCO
vient d'ailleurs de distribuer ce même code sous licence de logiciel libre,
donc tout le monde a le droit de le redistribuer.
Quels sont vos autres chevaux de bataille actuellement ?
Je surveille de très près la législation américaine relative aux licences
automatiques incluses dans les contrats internationaux qui peuvent imposer au
consommateur des clauses qu'il n'aura pas négociées. Tout acheteur d'un
programme, par exemple un employé ou un programmeur, peut être considéré selon
cette législation comme une "entreprise" car, là aussi, la définition du terme
est très floue.
De ce fait, le territoire juridiquement compétent pour juger d'un litige
pourrait être différent de celui du consommateur. Ce dernier n'aurait aucune
chance de voir ses droits protégés car le pays désigné par les clauses du
contrat serait un pays très favorable au vendeur. Le Traité de la Haye prévoit
d'étendre la législation américaine en Europe, il faut y être vigilant et
exclure de ce texte les "fausses" entreprises.
Source : http://solutions.journaldunet.com/itws/030603_it_stallman.shtml
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