[Linux-bruxelles] Loghorn la strategie 100% anti Linux ?

Hervé Eychenne rv at eychenne.org
Sam 8 Mai 02:39:37 CEST 2004


On Fri, May 07, 2004 at 05:22:34PM +0200, Frederic Peters wrote:

> Mais certains voudraient faire croire que l'arrivée des brevets
> logiciels signifie la fin des logiciels libres.  C'est avec cette
> opinion que j'ai un problème.

Note que je n'ai jamais dit une chose pareille...

Déjà, il y a dans le logiciel toute une branche (BSD, généralement) qui
ne se soucie pas toujours de l'application qui sera faite des produits
qu'elle développe. Les vrais *BSDistes n'ont que faire de l'essor du
système Linux (et BSD ;-), ils continueront à développer leurs trucs
dans leur coin, dûssent-ils en être les seuls utilisateurs : ils donnent
le fruit de leur savoir à l'humanité, et ne se soucient guère de savoir
qui est l'humanité et ce qu'elle en fera.
Certains BSDistes plus fourbes ;-) sont écoeurés par le marketing Linux.
Ceux-là pourraient bien arrêter s'ils sentent qu'ils ne développent
plus pour un nombre suffisant de gens.

Dans l'autre catégorie (déjà plus esprit GPL), la philosophie a plus
d'importance. Si les développeurs veulent garantir la liberté du code
(je ne parlent pas ici des développeurs qui mettent leur code sous
GPL "car c'est ainsi que les autres le font"), ce n'est pas tout à fait
par hasard. Ils souhaitent que leur code serve à quelqu'un. Et une
partie d'entre eux va même jusqu'à espérer que leurs programmes
formeront un jour un tout qui permettra à l'humanité d'échapper au
contrôle mondial de l'information par quelques grosses
transnationales. Brevets logiciels ou pas, ceux-là ne sont pas près
d'abandonner.

Si les brevets logiciels passent en Europe, tout développeur (libre ou
pas) habitant en Occident, dont l'application gênera un peu trop l'une
des grosses transnationales peut s'attendre à trouver un jour dans sa
boîte aux lettres le fameux message d'"injonction informelle" dont
j'ai déjà parlé (première étape).
Comme le principe des brevets est valide, chaque procès ne peut être
gagné qu'au coup par coup, et seulement si l'on arrive à prouver
l'invalidité du (des) brevet(s) concerné(s) dans chaque procès.

Les grosses transnationales ont le choix. Soit elles attaquent pour
gêner sans grand espoir de gagner, soit elles attaquent pour gagner et
choisissent soigneusement leur cible. Reste aussi les menaces, avec
demande de rançon aux entreprises distributrices et utilisatrices.
Je pense pour une combinaison des trois, avec pas mal de procès de la
catégorie 1 et 3, et quelques-uns de la catégorie 2.

Car attaquer pour gêner, c'est déjà rentable pour elles. Pourquoi ?
- pour le développeur libre attaqué, cela occasionne une perte de temps,
  d'argent (même si temporaire au mieux, mais cela peut miner), et cela
  peut même entraîner la reddition de quelques-uns.
- pour la communauté, idem. Perte de temps en palabres (cf ce
  mail ;-)...), perte d'argent (participation éventuelle au financement
  du procès par la FSF, IBM, etc.), et risque de démotivation des moins
  motivés (qui ne sont pas forcément de piètres programmeurs).
- pour l'industrie, cela entraînera une plus grande frilosité vis-à-
  vis du logiciel libre

En effect, la stratégie du FUD peut fonctionner un temps. Un temps
seulement, mais c'est déjà ça de gagné, pour enfoncer les lignes
ennemies sur d'autres flans. Pour les plaignants, elle a au moins
l'avantage de :
- rapporter de l'argent (certains ne veulent pas d'histoires et cèdent
  au chantage)
- décourager des entreprises distributrices ou utilisatrices (ne
  voulant pas payer, ni prendre de risques)
- créer un climat d'incertitude (et prolonger les positions
  attentistes de certains)
"Calomniez, calomniez... il en restera toujours quelque chose"

Enfin, les grosses entreprises transnationales, en attaquant quelques
cibles du libre soigneusement choisies au préalable pour violation de
brevet, peut avoir d'assez bonnes chances de gagner (sinon elles
n'auraient pas été choisies). Car, dans le présent ou le futur,
avec tant de brevets déposés, il s'en trouvera bien tôt ou tard
quelques candidats "valides" (non triviaux, et sans antériorité),
exploités par un ou plusieurs logiciels libres connus ou stratégiques.


Pour le développeur qui se fait attaquer, que faire ?
- abandonner ("j'ai beau aimer le libre, j'ai une femme et des
  enfants")
- lutter de toutes ses forces avec les moyens de recours légaux, avec
  le risque de finir probablement épuisé ou exsangue (que l'on soit
  gagnant ou perdant)
- ignorer toute injonction, et se préparer au martyre
- prendre le maquis, puisqu'il s'agirait d'une guerre (informationnelle).
  Cela irait de la forme la plus douce (programmer secrètement
  avec des passerelles sécurisées, et mettre en ligne sur
  des serveurs "hors juridiction", bien que cela ne règle pas le
  problème de l'illégalité d'accès et d'utilisation au programme par
  les utilisateurs "occidentaux"), en passant par la lutte via des
  moyens informatiques (paralysie de sites par DDoS, etc., nous y
  sommes déjà), au degré extrême... prendre les armes, au sens propre
  (certaines personnes désespérées en arrivent à commettre des
  actes désespérés, hélas), de la même façon que le combat plus
  général opposant les alter-mondialistes aux grosses entreprises
  transnationales ne pourrait que s'être cristallisé de façon plus
  violente d'ici là, si les choses prennent une bien mauvaise
  tournure (cf prémices au sommet de Gênes...)

  Pour les esprits fragiles qui me liraient, je tiens à préciser
  qu'il ne s'agit ici que d'un exercice de prospective informel, et
  que je ne prône ni ne préconise aucune des éventualités extrêmistes
  décrites ci-dessus. Merci. :-)


Et je finis en répondant enfin à la question initiale.
Une adoption des brevets en Europe (et donc par extension dans
l'ensemble des pays soumis aux accords transnationaux concernant les
brevets) ne tuerait probablement pas le logiciel libre à court terme.
Mais cela couperait net son essor, et permettrait petit à petit à ces
grosses firmes de priver pour longtemps l'humanité d'un accès libre
et gratuit à ce qui fait déjà (et fera de plus en plus, dans un monde
où tout est appelé à être informatisé) l'infrastucture informatique
de notre planète, et ainsi à leur permettre de s'arroger l'ensemble
du système nerveux informationnel. Tout pourrait être marchandisé,
surveillé, et manipulé à souhait; et ne manquerait pas de l'être dans
un futur pas si lointain, tout pouvoir excessif appelant les abus
correspondants.
Cette nouvelle dictature risquerait d'avoir gagné pour un bon bout de
temps, même si rien n'est éternel.


Si certains devaient être tentés de me traiter de prédicateur
à tendance apocalyptique ;-), je leur ferai remarquer que je me contente
de ne pas appartenir à la très nombreuse catégorie des gens qui ne
peuvent pas concevoir le pire sous prétexte qu'il serait trop
horrible pour pouvoir oser se produire.

 Hervé

-- 
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