[Linux-bruxelles] Brevet Logiciel *** Article de La Libre Belgique***

Marc Heerbrant marc_heerbrant at hotmail.com
Dim 7 Sep 10:55:43 CEST 2003



  http://www.lalibre.be/article.phtml?id=3&subid=152&art_id=131683

    
  interview

  «Non au brevet logiciel»
  PAR MATHIEU VAN OVERSTRAETEN

  Mis en ligne le 05/09/2003
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  Un projet de directive européenne prévoit
  la brevetabilité des logiciels informatiques. Pour
  le chercheur français Bernard Lang, il faut s'y opposer à tout prix. «C'est un véritable choix de civilisation», affirme-t-il


  ENTRETIEN

  Le 27 août dernier, plusieurs centaines de personnes se rassemblaient devant le Parlement européen pour protester contre un projet de directive européenne sur le brevetage des logiciels informatiques. Parmi eux, on retrouvait essentiellement des informaticiens, parmi lesquels le français Bernard Lang. Directeur de recherche à l'Institut national de recherche en informatique et en automatique (INRIA), celui-ci est aussi vice-président de l'AFUL, l'Association francophone des utilisateurs de Linux et des logiciels libres. Il explique pourquoi il est farouchement opposé au projet de directive de l'eurodéputée socialiste britannique Arlene McCarthy.

  A priori, les brevets sont destinés à protéger l'innovation technologique. Pourquoi scandiez-vous lors de la manifestation il y a quelques jours que «les brevets logiciels tuent l'innovation» ?

  Je tiens d'abord à préciser que je suis loin d'être le seul à le dire. Malgré la complexité du sujet, la pétition que nous avons lancé contre ce projet de directive a déjà recueilli plus de 170.000 signatures, dont celles de 500 PME ainsi que de nombreux économistes de renom, y compris des experts de la Commission européenne elle-même. Elle inclut aussi quelques grands noms de la recherche informatique européenne, parmi lesquels des titulaires du Prix Turing, l'équivalent en informatique du Prix Nobel. Toutes ces personnes arrivent comme moi à la conclusion que les brevets logiciels ne vont ni favoriser l'innovation technologique ni protéger les petits contre les gros mais qu'au contraire, ils vont avant tout servir les multinationales, la politique américaine et les juristes de la propriété intellectuelle. Si cette directive est adoptée, nombreux sont ceux à croire qu'on court tout droit à la catastrophe.

  Quel intérêt les grands groupes informatiques ont-ils à pousser cette introduction des brevets logiciels?

  Pour les grands groupes, ces brevets permettront avant tout de contrôler les nouveaux entrants ou les concurrents un peu trop gênants. Il faut savoir en effet que les logiciels sont des constructions très complexes dans lesquelles les développeurs utilisent des mécanismes dont ils ne se doutent même pas qu'ils puissent être brevétés, avec à la clé un risque important de contrefaçon involontaire. Les grandes sociétés américaines, qui détiennent énormément de brevets, peuvent de ce fait attaquer quasiment n'importe quel logiciel en contrefaçon. C'est ce qui s'est passé récemment avec Getris Image, une petite société française qui a voulu commercialiser son logiciel sur le marché américain et qui a été attaquée en contrefaçon par une société active uniquement dans la propriété industrielle. Si elle en avait eu les moyens, elle aurait facilement pu prouver son bon droit devant un tribunal mais elle ne les avait pas et elle a donc dû déposer le bilan. Aux Etats-Unis, les attaques en contrefaçon, même injustifiées, sont un moyen classique de bloquer un produit ou une entreprise. Le brevet, auquel on recourt de manière totalement arbitraire, y est souvent utilisé comme une arme anti-concurrentielle plus que comme une arme de protection de l'innovation.

  Pour vous, les brevets logiciels risquent donc de réduire la concurrence...

  Oui. Ces brevets ont peut-être un sens du point de vue juridique mais du point de vue économique, c'est purement et simplement idiot. La meilleure preuve est que parmi les très nombreux articles économiques qui ont déjà été rédigés sur l'effet de la brevetabilité, aucun d'entre eux ne conclut à son utilité. Avec ce système, l'énergie et l'argent que les entreprises européennes dépensent actuellement à innover risquent d'être dépensées à se défendre contre des attaques en contrefaçon. Il faut comprendre que l'économie de l'immatériel, dont font partie les logiciels, fonctionne sur des règles économiques différentes de l'industrie matérielle. Si le brevet logiciel passe, toutes les dérives sont possibles. On pourrait imaginer par exemple qu'on autorise à l'avenir le brevetage de techniques de plaidoirie, d'écriture musicale, de saut en hauteur ou, pourquoi pas, de techniques amoureuses. Et quiconque les reproduirait serait susceptible d'être poursuivi en contrefaçon. Le débat actuel va donc bien au-delà du simple domaine des logiciels, je crois qu'il s'agit d'un véritable choix de civilisation.

  Vous liez même la question des brevets logiciels au fameux programme Echelon?

  Bien sûr. Le projet de directive de la députée britannique risque non seulement d'affaiblir les entreprises européennes, il risque également d'entamer la souveraineté des Etats de l'Union européenne. Tant nos entreprises que nos institutions sont en effet obligées d'utiliser des logiciels contrôlés par des sociétés étrangères, pour la plupart américaines, pour lesquelles nous n'avons pas accès aux codes-sources et qui sont de toute façon trop compliqués à vérifier. Autrement dit, nous utilisons des logiciels dont nous ne savons pas exactement ce qu'ils font et qui constituent de potentiels outils de domination militaire et culturelle. On pourrait imaginer notamment un moteur de recherche qui favoriserait certaines ressources culturelles au détriment d'autres. Ce n'est pas un scénario-catastrophe mais la réalité. Pour citer un exemple, on s'est rendu compte récemment qu'un logiciel américain censé filtrer les sites pornographiques pour protéger les enfants empêchait également l'accès à certains sites d'opinion.

  Même sans brevets logiciels, il y a donc déjà des abus.

  Oui, il y a des abus mais on peut aujourd'hui s'en protéger grâce aux logiciels libres, pour lesquels l'accès au code-source est ouvert à tous. Or, les gens qui développent ces logiciels libres n'ont ni les moyens ni l'envie de breveter leurs inventions et risquent donc de faire partie des principales victimes du projet de directive européen.

  A vous entendre, les arguments contre l'introduction du brevet sont donc très nombreux. Etes-vous confiant dans le rejet du projet de directive par le Parlement européen?

  Disons que le temps joue en notre faveur. Les pro-brevet ont voulu faire leur coup en douce, sans que le grand public ne soit inclus dans le débat, mais nous avons heureusement pu lancer notre travail d'information et d'éducation à temps. Cela a permis de déjà reporter le débat sur la directive, prévu initialement lundi dernier, de quelques semaines, mais le combat n'est pas gagné pour autant. Si de plus en plus de parlementaires se posent des questions sur l'utilité de ces brevets, ils ont en effet tendance à se tourner vers les professionnels de la propriété intellectuelle pour obtenir des réponses. Or, ceux-ci sont forcément juge et partie puisqu'ils vivent du dépôt de brevets.

  © La Libre Belgique 2003

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