[Linux-bruxelles] Interview de R. Stallman

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Mer 31 Oct 20:18:21 CET 2001


Bonjour à tous,

Une interview plutôt sympa du grand guru dans le Monde.


"Aujourd'hui, les hackers font partie de la culture dominante"

Les temps changent. La plupart des hackers ont cédé aux sirènes du commerce.
Et, pour beaucoup, la culture alternative des débuts d'Internet est à classer
au rang des vieux souvenirs. Ne l'enterrons pas si vite, prévient l'Américain
Richard Stallman. Hacker légendaire et apôtre du logiciel libre, Richard
Stallman revient ici sur un pan mythique de l'histoire de l'informatique et
dresse un portrait des pirates informaticiens d'hier et d'aujourd'hui. Les
héros ne sont pas -tous- fatigués.

Mis à jour le lundi 29 octobre 2001

Ancien informaticien du Massachusetts Institute of Technology (MIT), Richard
Stallman, 47 ans, a fondé la Free Software Foundation en 1984 pour développer
des logiciels libres, copiables et modifiables par tous, et lutter contre les
abus de la propriété intellectuelle. Ses idées ont inspiré le système
d'exploitation Linux -"GNU-Linux" pour Richard Stallman- développé par des
informaticiens bénévoles du monde entier.


Il y a quelques années, vous disiez être "le dernier survivant d'une culture
disparue". La culture libertaire des débuts d'Internet est-elle vraiment morte
?

C'est ce que j'ai ressenti en 1983. A l'époque, j'appartenais à une culture
alternative, celle des hackers du MIT, situé à Boston. Et cette culture
"underground" a été brutalement désintégrée par une entreprise (NDLR:
Symbolics, spécialisée dans la création de machines à "intelligence
artificielle"), qui a embauché quasiment tous les hackers du Laboratoire
d'Intelligence Artificielle du MIT. A partir de ce moment, le Laboratoire n'a
plus jamais été le même. La quasi-totalité des hackers est passée de l'autre
bord, de la culture underground au monde des affaires. (NDLR: lire notamment le
livre de Steven Levy, Hackers : Heroes of the Computer Revolution, Penguin
Books, nouvelle édition 2001).

Par la suite, l'une des motivations du Mouvement du Logiciel Libre -le "Free
Software Movement"- a été de redonner vie à cette culture et cette communauté.
Nous y sommes plus ou moins parvenus, mais pas totalement.



Vous êtes plus optimiste aujourd'hui?

Certainement. Les bouleversements de 1983 ont eu un effet socialement
dévastateur sur moi. J'avais alors perdu ma communauté. Je n'avais plus un seul
ami.  Les personnes qui faisaient partie de ce groupe avaient commis un acte
tellement monstrueux que je ne voulais plus leur adresser la parole. Non pas
parce qu'ils avaient quitté le MIT mais parce qu'ils avaient rejoint le giron
commercial de Symbolics.

Depuis, je me suis habitué à une solitude relative. Je me suis habitué à avoir
moins de compagnons. Et, dans une certaine mesure, j'ai retrouvé une nouvelle
communauté.



En quoi cette nouvelle communauté est-elle différente de l'ancienne?

La différence principale est d'ordre géographique. La nouvelle communauté est
dispersée tout autour du globe. Quiconque veut en faire partie peut facilement
y participer, qu'il se trouve à Los Angeles, Paris, Stockholm ou Buenos Aires.
Pour intégrer l'ancienne communauté, vous étiez obligé de vous rendre
physiquement à Boston, au MIT.  Vous n'aviez aucune autre possibilité.

La culture des hackers a également beaucoup évolué. Les hackers détestaient
l'idée d'être sous influence. Par exemple, ils refusaient de boire de l'alcool.
Quand ils buvaient -chose extrêmement rare-, ils absorbaient des quantités
tellement faibles qu'ils ne pouvaient pas être affectés par la boisson. Ils
refusaient aussi l'influence du monde des affaires. Aujourd'hui, les hackers
font partie de la culture dominante.



Ce sont toujours des hackers, selon vous?

Un Parisien du début du 21è siècle ne parle pas et ne se comporte pas comme un
Parisien des années dix-neuf-cent-soixante. Mais il reste un Parisien. C'est la
même chose pour les hackers.



Comment décririez-vous le MIT à l'époque?

Ca a été une aventure unique, et un honneur de faire partie des hackers du MIT.
Cinquante à cent personnes travaillaient au Laboratoire. Il y avait un énorme
ordinateur central, extrêmement puissant pour les standards de l'époque, qui
avait été en partie trafiqué par les hackers. Ils travaillaient aussi bien sur
les matériels informatiques (hardware) que sur les logiciels (software). Quant
à moi, je m'occupais du système logiciel. A l'époque, nous partagions tout,
jusqu'au dernier code informatique. Nous corrigions les erreurs des uns et des
autres, nous cherchions à améliorer sans cesse le système. Nous ne voulions pas
entendre parler de propriété intllectuelle. Travailler au MIT, c'était goûter
la vie du libre.

Le MIT d'alors était un lieu très ouvert.  Nous accueillions tous ceux qui en
montraient les capacités. Face à chaque nouveau venu, on se disait : "c'est
bien, voilà une personne de plus pour abattre le travail !". Seules les
capacités du hacker nous intéressaient, et non une quelconque autorisation ou
recommandation. Nous jugions ce qui était fait, et pas le parcours de la
personne.  Peu importait son curriculum vitae. Peu importait qu'elle sorte de
nulle part.  Tous les hackers du MIT étaient traités sur un pied d'égalité.

D'ailleurs, nous avons eu beaucoup de difficultés, par la suite, pour
transplanter cette culture, ouverte et souple, dans d'autre endroits. Je me
souviens que dans les années quatre-vingt, l'un des responsables du Centre
mondial d'informatique à Paris éteignait toutes les machines avant de partir le
soir et interdisait qu'on les rallume avant qu'il revienne le lendemain matin !



Ca a été le choc des cultures?

Effectivement, certains informaticiens étaient trop attachés à des horaires
"classiques". Ils manquaient de flexibilité mentale pour changer leurs
habitudes. En cela, ils étaient aux antipodes de la culture des hackers !

Travailler la nuit faisait partie de notre culture. La raison était très simple
: pendant la nuit, moins de gens se partageaient les ordinateurs, les machines
étaient donc beaucoup plus rapides. C'est vite devenu un véritable phénomène
social. Les hackers venaient la nuit non seulement parce que les conditions de
travail étaient meilleures, mais aussi parce qu'ils rencontraient d'autres
hackers.

Etre hacker n'est pas seulement une question de technique ou de maîtrise
informatique. C'est aussi une véritable culture.



Le fait que les hackers se soient rapprochés du monde des affaires, que la
plupart d'entre eux travaillent aujourd'hui pour de grosses entreprises, ne
modifie-t-il pas radicalement cette culture?

Je peux les comprendre, c'est tentant.  Mais c'est aussi très dangereux.



Justement, la philosophie des hackers est-elle vraiment compatible avec la
logique du capitalisme contemporain?

C'est de plus en plus difficile. Le capitalisme qui domine aujourd'hui aux
Etats-Unis n'a plus rien à voir avec le capitalisme des années soixante-dix.
Aujourd'hui, le système économique n'est ni contrôlé ni régulé. Il est en grand
partie entre les mains du monde des affaires. Les entreprises ont réussi à
rendre marginales des idées politiques qui étaient encore répandues dans les
années soixante-dix. Comme par exemple celle qui poussait à investir dans la
recherche sans forcément penser au business.

Le gouvernement a cessé d'intervenir, il a abdiqué une partie de son pouvoir au
profit du monde des affaires. Aux Etats-Unis, une minorité de puissants a pris
le contrôle sur les élections.  Résultat, nous ne sommes plus vraiment en
démocratie. Cela en a encore les apparences, mais le système ne fonctionne plus
vraiment comme une démocratie.

Il y a aussi un autre élément. Beaucoup de hackers ont simplement envie
d'écrire de nouveaux logiciels, sans se préoccuper de politique. Cela ne les
intéresse pas vraiment de savoir comment l'entreprise se comporte envers le
public. Cela me rappelle une chanson de 1965 de Tom Lehrer (NDLR: professeur de
mathématiques au MIT et chanteur satyrique, populaire dans les années soixante)
sur Werner Von Braun (NDLR: ingénieur allemand, il a conçu les V2 en 1944,
avant de se rendre aux troupes américaines. Naturalisé américain, il a
participé au programme spatial américain.) dans laquelle il dénonçait
l'ingénieur qui se moque de savoir comment son travail sera utilisé.  "Once (a
bomb) goes up, who cares when it comes down? / It's not my department, says
Werner Von Braun", disait la chanson.



L'utopie libertaire des pionniers de l'informatique, en mettant l'accent sur la
liberté et l'absence de hiérarchie, a parfois fini par se confondre avec
l'idéologie néo-libérale. Comment réagissez vous à cela?

Les néolibéraux appellent liberté le fait de permettre  aux entreprises de
faire ce qu'elles veulent. Ils oublient de faire la distinction entre liberté
économique et liberté politique. Tous ceux qui ont défendu les libertés se sont
retrouvés victimes de ce processus. C'est vrai bien au delà des informaticiens.

Certaines idées qui ont inspiré notre communauté dans les années soixante-dix
ont été déviées de leurs buts premiers.  J'ai moi-même été en partie influencé
par l'anarchisme. Mais je n'ai jamais cru que le but ultime était d'abolir tout
gouvernement. Je crois dans un Etat social-démocrate. Un gouvernement est
indispensable pour réguler l'économie, pour protéger les intérêts publics
contre toutes les agressions, qu'elles viennent de gangsters ou de chefs
d'entreprises, qui s'attaquent aux gens d'une manière plus subtile.

Je me sens proche des idées anarchistes selon lesquelles certaines parties de
la société devraient pouvoir s'organiser par elles-mêmes, sans qu'on leur dicte
leur conduite. La communauté du logiciel libre en est un bon exemple. La
liberté est essentielle, à la fois pour étudier les programmes informatiques,
pour modifier ce qui vous convient, pour redistribuer des copies à d'autres
personnes, pour publier les versions améliorées.  Malheureusement, quand on
observe les Etats-Unis aujourd'hui, la société ne va pas vraiment dans ce sens
: les entreprises ont de plus en plus de libertés, ce qui oblige à restreindre
les libertés des autres.



Que répondez-vous à ceux qui vous disent que le projet GNU-Linux tient de
l'utopie?

C'est certainement un projet qui cherche à améliorer la société. Mais cela le
rend-il pour autant impossible à réaliser? Si vous observez les résultats, il a
déjà remporté beaucoup de succès.  D'après les derniers chiffres, quelques 20
millions de machines utilisent aujourd'hui le système GNU-Linux.  Distribuer de
la nourriture gratuitement autour du monde peut sembler compliqué pour
l'instant et demanderait de disposer de plusieurs armées de personnes. Mais
pour faire du logiciel libre, vous avez besoin de bien moins de gens. La nature
de notre domaine rend ce type de coopération volontaire et bénévole beaucoup
plus simple à réaliser. C'est la même chose pour les projets de dictionnaires,
d'encyclopédies gratuites.  Dans les années qui viennent, les gens se rendront
compte que tout cela devrait être gratuit.



Propos recueillis par Weronika Zarachowicz



© Le Monde 2001
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